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Les vœux du Président

2023, année de la fin de la ruée vers l’or gris ?
 

L’intelligence est le moyen dont l’humanité a été dotée pour survivre dans un environnement hostile.
Il faut admettre qu’en cette fin de premier quart de siècle, il en faudra une bonne quantité pour parer aux dangers qui nous guettent, qu’ils soient énergétiques, démocratiques, pandémiques, économiques ou environnementaux.

L’incertitude est partout. La gestion du risque, la précaution érigée en principe, la décroissance ou la rationalisation des moyens alimentent une intelligence toute aussi artificielle que celle qui fait le bonheur de nos nouveaux endoscopes.
Cette « intelligence nouvelle », s’appuyant essentiellement sur celle de la machine, a principalement pour but de corriger les défaillances de notre humanité, partant du principe, que bien souvent nous sommes insuffisants ou faisons mal, soit involontairement, soit même sciemment.
Il faut donc encadrer, réguler, protocoliser, contraindre ; l’effacement pur et simple de l’humain – qui réglerait d’un coup tous nos problèmes – n’étant pas encore à porter de processeur.

Pour cela – et dans cette attente ? -, s’appuyant probablement sur la grande réussite de l’Éducation Nationale, nos élites ont trouvé une solution imparable qui – comme bien souvent – a contribué à aggraver le problème : la suradministration.
Ayant pour objectif de créer un réseau de neurones plus pertinent que le silicium, elle veille sur tout, organise tout, considère dogmatiquement que ce qui est ancien n’est plus à faire et qu’aujourd’hui l’on ne peut être que plus intelligent qu’hier.

Pour que tout aille pour le mieux, si on l’écoutait, il ne faudrait au fond plus aucun malade à soigner (surtout s’il a le Covid), pour ne pas risquer en vrac et dans le désordre une faute d’asepsie, un événement indésirable, une erreur de transmission, ou une indécente DMS. Il ne faudrait d’ailleurs plus aucun médecin, ni infirmière, trop retords aux changements, mal organisés, si peu productifs et ayant de surcroît encore parfois l’indécence de prendre des initiatives ou de se faire confiance.

L’essentiel n’est plus le malade ou l’utilité – et l’unité – des soignants, mais le respect des protocoles, l’évaluation de leur (in)compétence ou la rationalisation des créneaux opératoires.
Bodybuildée aux hormones de croissance, l’administration se déverse à un rythme effréné dans nos cliniques, hôpitaux et cabinets médicaux.
Au terme de processus cycliques de « rationalisation » et de changements chronophages et disruptifs, elle finit par tester son incompétence par des audits coûteux qui auront bien souvent fini d’épuiser les dernières bonnes volontés des équipes médicales à coup de réunionites aiguës (dont le seul remède fut le confinement – en cela malheureusement trop bref -).

Cette administration, aurait dû – à force d’échecs- en tirer la conclusion qu’elle devait se retirer aussi discrètement qu’honteusement, n’ayant contribué qu’à casser le système de santé.
Que nenni ! Son inefficacité n’étant dûe qu’à un manque de moyens, la solution ne peut venir que de sa croissance !

Ce contre-modèle d’intelligence collective fut très bien décrit par Cyril Northcote Parkinson dans un article paru en 1955 dans The Economist, qui appliqua le principe du gaz au monde du travail et plus particulièrement à l’administration britannique.
Le principe est simple. L’administration a cette fâcheuse tendance à créer suffisamment de désordre pour occuper tout son temps de travail. Dit autrement, le travail s’étale de façon à occuper la totalité du temps disponible pour son achèvement. Une fois cet objectif atteint, il convient alors de multiplier ses subordonnés (plutôt que ses rivaux) et de se créer des tâches à accomplir sans aucun lien avec les problématiques ayant justifié leur recrutement. Entendez-donc ici, développer de nouveaux postes de qualiticiens et de cadres en tout genre, d’indicateurs pertinents, une nouvelle gestion des lits, de nouveaux plannings, de nouveaux logiciels de prescription ou d’occupation des blocs. Elle s’efforce de démontrer avec brio que par la multiplication des intervenants et leur volonté d’affirmer leur pouvoir sur des choses anecdotiques, il devient possible de prendre plus de temps sur des questions sans intérêt que sur l’intérêt du projet en lui-même, à savoir en ce qui nous concerne le projet de soin pour le patient.

Dans cette ruée vers l’or gris qui ressemble étrangement à du plomb, gageons que passé la phase où nous en auront ri, puis pleuré, les bonnes volontés et les “faiseurs” reprennent le pouvoir sur les régulateurs et les empêcheurs de soigner en paix.
Souhaitons que l’intelligence forte reprenne le dessus, que nos 1 400 grammes de 86 milliards de neurones interconnectés nous permettent de gagner cette guerre des intelligences où le bon sens, la compétence, l’Humain et l’empathie furent tant piétinés par ce gros mammouth administratif.
Parions sur notre capacité collective, médecins, infirmières, hospitaliers et libéraux, à transformer le système, en continuant de nous indigner, unis pour défendre une autre vision de la médecine.

Dans cette bataille, nous possédons un atout majeur : une spécialité bien rangée, soudée et ordonnée. AFEF, AFIHGE, CNPHGE, CREGG, GIFE, SNFCP, SNFGE, Synmad, sont autant de composantes de la spécialité qui portent les mêmes ambitions en terme de formation de nos plus jeunes, de recherche et de qualité des soins.

Il ne tient qu’à nous de faire du bruit, de cesser de souffrir en silence et de faire germer en cette nouvelle année la graine du changement, pour que ce monde d’après, dont nous ne voulons pas, redevienne bien vite le monde d’avant.

Hauts les cœurs et au nom du conseil d’administration de la SFED, je vous souhaite à tous une belle année !

Olivier Gronier
Président de la SFED