Le pancréas, organe situé derrière l’estomac, exerce deux fonctions différentes :
– la production des enzymes et des sucs digestif par les cellules exocrines du pancréas, déversés via le canal pancréatique dans le duodénum (le début de l’intestin grêle), participant à la digestion des aliments ;
– la production des hormones comme l’insuline (principal régulateur de la glycémie) et le glucagon, par les cellules endocrines du pancréas.
Le cancer du pancréas ou l’adénocarcinome canalaire, se développe à partir des cellules exocrines et représente 90% des tumeurs du pancréas. Les autres 10 % des tumeurs du pancréas sont constitués par des formes histologiques plus rares (tumeurs neuroendocrines, kystiques, adénosquameux, carcinome à cellules acineuses, pancréatoblastomes …)
Le cancer du pancréas survient lorsque des cellules malignes commencent à se former et se multiplier de façon anarchique dans la paroi des canaux pancréatiques, pour former la tumeur, qui va secondairement grossir et envahir le tissu pancréatique puis les vaisseaux sanguins à proximité (cancer invasif). Lorsque des cellules cancéreuses se « détachent » de la tumeur primitive et empruntent la circulation par des vaisseaux sanguins et lymphatiques, elles peuvent former des tumeurs à distance (métastases) et envahir d’autres organes, comme les ganglions lymphatiques, le foie, les poumons, les os. Au moment du diagnostic 80% des cancers du pancréas sont déjà métastatiques. Très peu de cancers ont un taux métastatique aussi élevé.
Le cancer du pancréas se classe au 7ème rang en terme de taux d’incidence, qui augmente massivement ces vingt dernières années, de 248% en 40 ans. Au niveau mondial, il est classé au 12ème rang des cancers les plus fréquents et au 7ème rang des causes de mortalité par cancer [1]. En France l’incidence est de 14 000 cas/an en 2018 (données INCA). Le cancer du pancréas touche autant les hommes que les femmes, il est habituellement diagnostiqué après 50 ans, généralement à un stade évolué, ce qui explique son mauvais pronostic. Le cancer du pancréas a le taux de survie le plus bas de tous les autres cancers en Europe, inférieur à 10% [2]. Malgré l’amélioration de la compréhension de cette maladie, l’espérance de vie au moment du diagnostic n’est que de 4,6 mois. Des estimations récentes ont indiqué que le nombre de décès dus au cancer du pancréas a dépassé les taux de mortalité globale par cancer du sein dans l’UE en 2017, ce qui signifie que la maladie est désormais la troisième cause de décès liés au cancer dans l’UE, derrière le cancer du poumon et le cancer colorectal et pourrait se hisser à la deuxième place d’ici à 2030-2040, devant le cancer du poumon et le cancer colorectal [3].
On appelle le cancer du pancréas « tueur silencieux », car il se développe sans symptômes pendant des mois, voire des années, souvent découvert tardivement, lorsque la tumeur est évoluée. Les symptômes de la maladie au stade précoce ne sont pas spécifiques (pouvant être liés à d’autres causes), ce qui explique la difficulté du diagnostic précoce, essentiel pour une chirurgie potentiellement curative.
Néanmoins, un cancer du pancréas peut être suspecté devant plusieurs signes :
- – perte de poids et d’appétit
- – fatigue inexpliquée,
- – dépression
- – douleurs abdominales et/ou dorsales
- – nausées persistantes
- – troubles du transit intestinal
- – diabète d’apparition récente
- – ictère (jaunisse) accompagné souvent de démangeaison cutané
FACTEURS DE RISQUE
Mêmes si des recherches supplémentaires sont nécessaires pour nous aider à mieux comprendre les causes du cancer du pancréas, certains facteurs de risque avérés ont été reconnus comme prédisposant pour développer la maladie. Cependant, le cancer peut parfois se développer sans qu’il soit possible de le relier à un facteur de risque connu.
Le tabagisme est impliqué dans le développement du cancer du pancréas dans 20 %-30% des cas. Chez les fumeurs, le risque de développer un cancer du pancréas est augmenté de 75% comparé aux non-fumeurs. Le risque augmente avec le nombre de cigarettes fumées (2% pour une cigarette par jour et 62% pour 20 cigarettes fumées par jour) et la durée du tabagisme (1% par année de tabagisme et 16% après 10 ans de consommation) [4].
Le surpoids et l’obésité sont fortement associés au cancer du pancréas. Un sujet avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 35 présente un risque de cancer du pancréas de 47% plus élevé comparé à un sujet avec un IMC normal [5]. Même le surpoids (IMC > 25 kg/m2) présente un risque, pour une augmentation de l’IMC de 5 kg/m2, l’augmentation de risque de cancer du pancréas est d’environ 14% [6]. Chez les patients atteints de cancer, l’obésité et le surpoids sont également associés à un pronostic et à une survie plus faible comparé aux patients non obèses.
Le risque familial et génétique a été identifié comme cause prédisposant au risque de cancer du pancréas. Dans 90% des cas, le cancer du pancréas survient chez des personnes qui ne présente pas de mutation génétique à haut risque, il s’agit d’un cancer sporadique. Environ 10% des cancers du pancréas sont liés à des formes héréditaires à haut risque, en lien avec une altération génétique héritée d’un parent, incluant la pancréatite chronique héréditaire, les syndromes génétiques héréditaires et les antécédents familiaux de cancer du pancréas. Le risque de cancer du pancréas est estimé être 6,4 fois plus élevé chez les sujets faisant partie des familles dite CaPaFa (Cancer Pancréatique Familial), ayant deux apparentés (parents, enfants, frères/sœurs) atteints de cancer du pancréas, dont au moins un au premier degré (parents, enfant). Ce risque est estimé être 32 fois plus élevé si trois ou plus d’apparentés sont atteint d’un cancer du pancréas [7, 8]. Les mutations génétiques les plus fréquentes, prédisposant à un cancer du pancréas touchent les gènes suivants [7]:
-
- o BRCA2, BRCA et PALB2, FANC-C/G (associés au cancer du sein et de l’ovaire)
- o PRSS1 associé à la pancréatite héréditaire
- o CDKN2A p16 associé au Mélanome multiples héréditaires
- o LKB1/STK11 associés au syndrome de Peutz-Jeghers
- o hMLH1 , hMSH2, hMSH6, PMS1 associés au cancer du côlon héréditaire (syndrome de Lynch)
Le diabète est un facteur de risque majeur de cancer du pancréas. Alors qu’il existe un risque accru de cancer du pancréas chez les patients diabétiques de longue date, le diabète d’apparition récente est fréquemment associé à une malignité pancréatique. Au moment du diagnostic du cancer du pancréas, le diabète est présent dans 40 à 60% des patients [9-12]. Les personnes avec un diagnostic récent de diabète de type 2, ont 50 % de risque supplémentaire de développer un cancer du pancréas dans les 4 ans après diagnostic, comparé aux personnes atteintes de diabète depuis plus de 5 ans [13].
Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires, il existe des preuves démontrant que des facteurs nutritionnels sont liés avec le risque de cancer du pancréas. Une forte consommation d’alcool (quatre ou plus de boissons alcoolisées par jour) est un facteur de risque de pancréatite chronique et augmente le risque de cancer du pancréas d’au moins 15% [14]. D’autres facteurs comme la viande rouge, les pesticides, les rayons X, certains métaux (nickel, chrome) ont était suspectés d’être à risque de cancer du pancréas, sans preuves suffisantes à l’heure actuelle.
On estime que les deux tiers des principaux facteurs de risque associés au cancer du pancréas sont potentiellement modifiables, offrant ainsi une opportunité de prévention de la maladie.
LE DÉPISTAGE DU CANCER DU PANCRÉAS PRÉCOCE REPRÉSENTE UN DÉFI IMPORTANT
Le but du dépistage est de détecter le cancer du pancréas à un stade précoce et de pouvoir ainsi augmenter les possibilités de traitement chirurgical. Il n’est actuellement pas possible de réaliser le dépistage du cancer du pancréas à grand échelle. En revanche, le cancer du pancréas doit être systématiquement dépisté chez [8]:
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- – Toute personne avec suspicion de CaPaFa : ayant au moins 2 parents (parents, enfants, frères/sœurs) dont au moins un au 1er degré (parents, enfants) atteints de cancer du pancréas;
- – Toute personne porteuse de mutation LKB1/STK11 associés au syndrome de Peutz- Jeghers et mutation CDKN2A p16 associés au Mélanome multiples héréditaires, indépendamment des antécédents familiaux ;
- – Toute personne porteuse de mutations d’un gène prédisposant au cancer du pancréas (associés aux cancers du sein, ovaire, intestin, syndrome de Lynch) et ayant au moins 1 apparenté au premier degré ;
- – Toute personne présentant une pancréatite chronique héréditaire.
Toute personne dont le contexte familial comprend plusieurs cas de cancers de type : pancréas, intestin, sein, ovaire ou mélanome, nécessite une consultation d’oncogénétique, afin d’estimer le risque génétique et orienter, si nécessaire, vers un dépistage systématique.
Le diagnostic, la prise en charge et la surveillance appropriée des lésions précancéreuses du pancréas est également un moyen de dépister le cancer à un stade non invasif et précoce. Il s’agit des lésions kystiques et mucineuses du pancréas : – la tumeur intra-canalaire papillaire et mucineuse (TIPMP) et le cystadénome mucineux (CM) [7, 15]. Ce sont des lésions bénignes, découvertes dans la majorité des cas de manière fortuite sur un examen d’imagerie, ayant l’aspect de kyste, pouvant présenter un risque de dégénérescence, et de ce fait, nécessitant un avis spécialisé auprès d’un gastroentérologue et, souvent, des examens complémentaires. Ces lésions doivent faire l’objet d’une surveillance au long cours et, en cas d’évolutivité (apparition de masse, de nodule ou d’épaississement pariétal avec prise de contraste, augmentation très significative en taille), une intervention chirurgicale peut être nécessaire [15].
LE DIAGNOSTIC
Le diagnostic du cancer du pancréas est réalisé par des examens d’imagerie (échographie trans pariétale, scanner et IRM). L’écho endoscopie permet à la fois de visualiser et caractériser la lésion, mais également de réaliser un prélèvement à l’aide d’une aiguille fine, le matériel ainsi obtenu est adressé pour examen histologique pour confirmer le diagnostic. La performance diagnostique de l’échoendoscopie est nettement supérieure comparé à celle de l’imagerie standard pour le diagnostic des lésions tumorales pancréatique de petite taille ( 2 cm) [16] .
TRAITEMENT
Nous avons parcouru un long chemin ces dix dernières années avec l’administration d’agents thérapeutiques ou néoadjuvants qui permettent d’envisager une chirurgie des tumeurs dont la résécabilité était difficile à envisager au moment du diagnostic, appelés tumeurs « border-line » [17]. L’objectif est désormais d’augmenter le nombre de patients recevant un traitement néoadjuvant avant résection chirurgicale. Aujourd’hui, seulement 20 % des patients atteints de cancer du pancréas sont éligibles à la résection chirurgicale au moment du diagnostic et seulement 20% de ces patients, atteignent une survie à cinq ans après la chirurgie [17].
DEFIS THERAPEUTIQUES ET CHIRURGICAUX
La résection chirurgicale est actuellement la seule approche curative pour le cancer du pancréas. Les résections nécessitent souvent une opération complexe qui peut impliquer une résection et une reconstruction vasculaire.
Outre les complications chirurgicales, les propriétés spécifiques du micro-environnement tumoral peuvent affecter le succès du traitement et les tumeurs cancéreuses du pancréas sont notoirement résistantes à la fois aux chimiothérapies et aux immunothérapies émergentes, la densité de la tumeur peut empêcher la pénétration de agents thérapeutiques.
LES TUMEURS DU CANCER DU PANCRÉAS SONT NOTOIREMENT RÉSISTANTES AUX CHIMIOTHÉRAPIES ET A L’IMMUNOTHERAPIE EMERGENTE
PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES
Le vent commence enfin à tourner. Des avancées significatives sont faites avec de nouveaux schémas thérapeutiques et dans la compréhension des différentes mutations génétiques impliqués dans des sous-groupes de cancer du pancréas, ainsi que l’impact du microbiote sur le cancer du pancréas.
Des recherches récentes ont montré que l’immunité des lymphocytes T a été lié à une survie à long terme sans précédent d’un petit groupe de patients atteint de cancer du pancréas. Les lymphocytes T, aident à combattre les maladies et les infections et jouent un rôle essentiel dans l’immunité à médiation cellulaire. De nouvelles recherches, se concentrent sur l’identification de molécules capables de stimuler une réponse immunitaire et cela aidera potentiellement le développement et l’application de futures immunothérapies.
Avec des avancées récentes prometteuses en immunothérapie et sur le traitement néoadjuvant on peut espérer un meilleur taux de résection et des traitements ciblés. Des efforts coordonnés sont nécessaires maintenant pour faciliter et accélérer ces progrès et améliorer les taux de survie. Bien que le cancer du pancréas soit une maladie très complexe. Nous avons maintenant identifié des sous-groupes spécifiques de cancer du pancréas avec certaines caractéristiques moléculaires. L’identification de ces groupes est une étape passionnante qui permettra d’améliorer substantiellement le pronostic de ce cancer.
La recherche portant sur l’impact du microbiote est un nouveau domaine particulièrement passionnant, le pancréas était auparavant considéré comme un organe stérile. La population microbienne des patients atteint de cancer du pancréas s’est avéré être d’environ 1 000 fois supérieur à celui d’un indemne de cancer. Des recherches ont montré que la suppression de certaines bactéries de l’intestin et du pancréas a ralenti la croissance du cancer et le système immunitaire a reprogrammé ses cellules pour réagir contre les cellules cancéreuses. Ces découvertes sont importantes et pourraient changer la pratique, l’élimination de certaines espèces bactériennes pourrait améliorer l’efficacité de la chimiothérapie ou l’immunothérapie, l’augmentation des bonnes bactéries permettre de ralentir la croissance tumorale mais également de diminuer le risque de cancer du pancréas.
Une meilleure compréhension du rôle du microbiote, à la fois comme biomarqueurs du risque accru de cancer du pancréas, ainsi que cible thérapeutique potentielle de l’immunothérapie du cancer apporte la promesse d’une médecine personnalisée toujours plus proche et l’espoir de meilleurs résultats de traitement à l’avenir.
Commission prévention et dépistage des cancers : Emmanuel Coron, Bernard Denis, Franck Devulder, Isaac Fassler, Mehdi Kaassis , David Karsenti, Rodica Gincul, Anne-Laure Tarrerias, Karl Tchiriktchian, Eric Vaillant
1. Sung, H., et al., Global Cancer Statistics 2020: GLOBOCAN Estimates of Incidence and Mortality Worldwide for 36 Cancers in 185 Countries. CA Cancer J Clin, 2021. 71(3): p. 209-249.
2. Drouillard, A., et al., [Epidemiology of pancreatic cancer]. Bull Cancer, 2018. 105(1): p. 63-69.
3. Rahib, L., et al., Projecting cancer incidence and deaths to 2030: the unexpected burden of thyroid, liver, and pancreas cancers in the United States. Cancer Res, 2014. 74(11): p. 2913-21.
4. Vrieling, A., et al., Cigarette smoking, environmental tobacco smoke exposure and pancreatic cancer risk in the European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition. Int J Cancer, 2010. 126(10): p. 2394-403.
5. Pothuraju, R., et al., Pancreatic cancer associated with obesity and diabetes: an alternative approach for its targeting. J Exp Clin Cancer Res, 2018. 37(1): p. 319.
6. Aune, D., et al., Height and pancreatic cancer risk: a systematic review and meta-analysis of cohort studies. Cancer Causes Control, 2012. 23(8): p. 1213-22.
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8. Goggins, M., et al., Management of patients with increased risk for familial pancreatic cancer: updated recommendations from the International Cancer of the Pancreas Screening (CAPS) Consortium. Gut, 2020. 69(1): p. 7-17.
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11. Stevens, R.J., A.W. Roddam, and V. Beral, Pancreatic cancer in type 1 and young-onset diabetes: systematic review and meta-analysis. Br J Cancer, 2007. 96(3): p. 507-9.
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